Hallelujah : Ploemeur

Aujourd’hui, c’est le moment du salut final.


Les musiciens vont retourner en coulisses, et ne reviendront pas sur la scène ; les lumières vont se rallumer, encourageant le public à quitter la salle.

Le dernier jour, un dernier rangement des sacoches ; puis ce sera l’attente à la gare, le retour en train, l’arrivée à la maison.


Ce voyage était une promesse. L’an dernier, j’avais dit à mon oncle que je m’étais fait un petit itinéraire vélo vers Ploemeur, avec l’idée d’aller le voir chez lui. Il m’avait répondu « Quand tu veux, on t’attendra avec plaisir ».

Idéalement, je serais arrivé chez lui et il m’aurait accueilli avec sa bienveillance naturelle, me faisant la bise, me baragouinant un truc guttural et sans aucun sens pour me montrer qu’il sait dire bonjour en néerlandais.

Mais les choses ne se sont pas passées comme ça, et je suis resté seul avec mon idée, qui, dans mon esprit, a rapidement pris la forme d’une promesse.

Promesse, hommage, pèlerinage : au final, je ne sais pas trop ce que c’est ; l’essentiel est de l’avoir fait, pour moi, pour l’idée que je me faisais du lui.


Que reste-t-il une fois que le voyage est fini ? Que le concert est terminé ? Qu’il faut se résoudre à l’absence ?

Est-on triste de devoir rentrer à la maison ? Oui, bien sûr. Normal.

Mais il reste surtout des souvenirs. Des rencontres. Des instants magiques. De la musique ou des paysages qui parlent directement à votre cœur. D’autres moments, faits d’un bonheur simple, auquel sa banalité confère sa beauté, et que personne ne pourra nous enlever. Des pages de vie écrites.

Dans son recueil La Sagesse du Moine, le moine bouddhiste Ajahn Brahm écrit :

Le chagrin consiste à ne voir que ce qui nous a été enlevé. Rendre hommage à une vie consiste à reconnaître tout ce dont elle nous a gratifiés, et nous en sentir immensément reconnaissants.

Alors, au-delà de la tristesse, il reste de la gratitude.

Gratitude pour le chemin parcouru, pour le vélo, fidèle et fiable compagnon. Gratitude pour nous-même, d’avoir, coup de pédale après coup de pédale, construit ce voyage. Gratitude pour les personnes rencontrées, qui l’ont jalonné.

Gratitude pour les musiciens, de nous avoir ouvert leur cœur, leur âme, et de nous avoir généreusement offert une musique qui, après l’avoir entendue en live, résonnera d’une manière particulière.

Gratitude pour celui qui n’est plus là de m’avoir amené jusqu’à lui aujourd’hui.


Au fil de ce voyage, j’ai trouvé le pré de Philémon. J’ai vu son âne, son pull dans une boutique de Vannes, l’arbre aux clowns, le marcheur du Piano Sauvage, les rails de la locomotive du Train où vont les choses, la licorne de L’Arche du A.

Mais je n’ai pas rencontré Philémon. Ou peut-être que si, car il est sans doute en chacun de nous.

Il est enfantin, farceur, espiègle, sensible ; il sait profiter de l’instant présent. Mais surtout, il sait voir au-delà de la surface des choses. Il sait voir avec les yeux du cœur, comme disait le marchand d’art dans un café de Chartres. Il sait que le mystère fait partie du monde. Et il sait qu’il pourra toujours compter sur son oncle Félicien.

Jusqu’au prochain concert. Agnes Obel, le 17 août à Tilburg.


I did my best, it wasn’t much
I couldn’t feel, so I tried to touch
I’ve told the truth, I didn’t come to fool ya
And even though it all went wrong
I’ll stand before the lord of song
With nothing on my tongue but hallelujah

Maybe there’s a God above
All I’ve ever learned from love
Was how to shoot somebody who outdrew you
And it’s not a cry that you hear at night
It’s not somebody who’s seen the light
It’s a cold and it’s a broken Hallelujah

7 commentaires sur « Hallelujah : Ploemeur »

  1. Ton salut final est très émouvant. C’est un bel hommage que tu rends à ton oncle.
    J’ai vu que « Les yeux du cœur » est le titre d’une chanson.
    L’expression me fait penser à la phrase bien connue du Petit Prince « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux »

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  2. Comme dans tous les contes, les romans ou les belles histoires, c’est à la toute fin qu’on accède au sens du récit. Bravo !
    On a voyagé avec toi jusqu’à sentir l’accueil amusé et la présence chaleureuse de notre cher Jean. Merci !
    Je crois que le Petit Prince dit aussi que la fin d’une chose est également le début d’autre chose… Alors, en selle ! On attend de nouvelles chroniques vélocipédiques !
    Bises

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  3. Très émouvant, et toujours aussi bien écrit.
    Merci Manu de partager tes aventures avec nous. Et Bravo !
    Le concert d’Agnes Obel : j’adore la chanson Riverside !! Bon concert !!!

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  4. Merci Manu!
    J’ai pris beaucoup de plaisir à lire chacune de tes étapes, de tes lignes.
    Ta plume est exceptionnelle.
    Le fond de ton récit m’a touché, et sa forme me l’a fait encore plus apprécié.
    Bravo.
    Vivement la prochaine aventure !

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  5. Très bel hommage à Jean, qui te serrerait bien fort dans ses bras lors de ton arrivée…
    Nous avons vécu de très bons moments avec toi et attendons avec impatience la suite de tes folles aventures.
    Bon retour en terre basse, ça descend tout le long .
    Et à très bientôt en Savoie.

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  6. Quelle émotion cette fin de voyage !
    Nous avons été très touchés par ta démarche pour honorer cette promesse faite à ton oncle.
    Bravo encore pour ce périple et pour nous l’avoir fait partager. Nous sommes émerveillés par ta plume.
    Vivement le prochain voyage.
    Bises admirative de nous deux.
    Chris et Claude

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  7. Cher Manu voila un bel hommage, tu a fait un très beau voyage et je dois avouer que tu sais raconter des histoires.
    « Le voyageur voit ce qu’il voit, les touristes voient ce qu’ils sont venus voir »
    Merci de nous avoir fait partager cette aventure et impatient de te suivre à nouveau.
    Didier

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