Le but du voyage est proche. Je le sens. Il m’attend et m’appelle. Sur scène, les musiciens fatiguent mais se laissent porter par l’énergie du public.
Très bonne nuit ici, bien reposante. La femme de Frédéric dort encore : je prends donc mon petit déjeuner avec lui. Et ce matin, il remet une pièce dans la machine.
Je trouve cela perturbant de côtoyer quelqu’un de poli, prévenant et aux petits soins, mais avec des idées aussi arrêtées : je ne sais pas sur quel pied danser. En même temps, ça me fait presque un peu de peine : il n’est sans doute pas très heureux. « Les racistes sont des gens qui se trompent de colère », disait Léopold Sédar Senghor.
Ça me fait aussi penser à une rencontre étonnante, et diamétralement opposée, faite par le journaliste Hervé Pauchon sur son chemin vers Compostelle. Écoutez ci-dessous, c’est à partir de 16’36”.
Alors que je m’apprête à partir, un avion à réaction privé décolle de l’aérodrome qui est au bout de la rue. « C’est l’avion de Martin Bouygues, ça coûte 7000 balles pour aller à Paris », me dit Frédéric. Il y a l’air d’y avoir du beau monde dans le coin dites donc.
Je me dirige vers le front de mer afin de récupérer mon itinéraire. De belles maisons cossues, des rues bien propres, des arbres un peu partout : ça me fait penser à Wassenaar, ville huppée proche de La Haye.

Le front de mer est plus classique — ça me fait penser aux Sables d’Olonnes, mais on sent bien que c’est chicos.

Un peu plus loin, je double un véhicule inattendu, (presque) sorti de La Diligence, un album de Lucky Luke.

Je continue ensuite en direction de Guérande. Au bord d’un étang, une dame semble bien seule.

Normalement, l’itinéraire cyclable qui longe la côte va plus ou moins directement de La Baule à Guérande. Moi j’avais prévu de faire un détour par la route des marais salants. Bien m’en a pris : il y a du vent de face et ça sent la saumure, mais c’est magnifique.

La couleur de base est un peu gris-verdâtre, mais quand on y regarde d’un peu plus près, il y a des tons blanc cassé, ocre ou rouille. À la faveur des reflets du ciel, le verdâtre prend parfois des teintes turquoise ou émeraude. Les lignes qui délimitent les marais rajoutent une esthétique presque hypnotisante.

Je me dis, d’ailleurs, qu’au lieu de peindre son minable Les Raboteurs de parquet, Gustave Caillebotte aurait mieux fait de venir à Guérande et d’y peindre une femme en train de ramasser du sel. Il aurait appelé son tableau La Paludière. Il aurait bossé ses reflets sur la surface de l’eau et fait péter sa palette de couleurs. Il aurait dégoûté Van Gogh, déprimé Seurat et influencé Matisse et Mondrian. L’Académie des Beaux-Arts se serait ridiculisée en jugeant son style décadent et son tableau contraire aux principes de la peinture qui sied aux gens bien élevés.
Au lieu de ça, môssieur Caillebotte nous sert une croûte sans intérêt, défigurée par une perspective outrancière et un contre-jour dégueulasse, bien loin des fulgurances de clair-obscur du Caravage, pourtant mort depuis près de quatre siècles, faut-il le préciser. Pathétique.

Bref.
Je continue et je passe, cette fois-ci, par Guérande. La dernière fois que je suis venu, c’était au mois d’octobre. Il y avait beaucoup, beaucoup moins de monde. N’empêche que c’est mignon comme village. Schön. Typisch.


Je fais un petit tour dans la ville, puis je poursuis mon chemin en longeant la côte. Il y a encore quelques marais salants. Mais je passe aussi par un bourg au nom surprenant.

À La Turballe, je passe devant l’impasse des Salants. J’avais précédemment vu la rue de la Fleur de Sel et l’avenue des Paludiers. On s‘est bien creusé la tête dites donc.
Dans la BD L’enquête Corse, le héros débarque à Ajaccio et tous les noms de rue sont comme « avenue du Premier Consul », « rue Bonaparte » ou « boulevard Napoléon 1er ».
Mon itinéraire du jour suit plus ou moins la côte, ce qui me permet de voir, outre les marais salants, la mer, de temps à autre. Les côtes rocheuses (granit ?) qu’on voit souvent en Bretagne apparaissent également.

À Mesquer, la ville est pleine de monde car c’est jour de marché. Ça se voit qu’il y a énormément de touristes. Attendant mon tour dans une boulangerie, je vois qu’il n’y a pas que les vacanciers qui envahissent les lieux : les guêpes, également. Dans la devanture sont alignés des gâteaux « petit nantais », apparemment une sorte de sablé moelleux avec un glaçage ; les guêpes ont percé le film alimentaire qui recouvrait les gâteaux et sont en train de manger le glaçage. Flippant.
Afin de fuir insectes et foule, je pars avec mon sandwich fraîchement acheté et je cherche une plage tranquille pour déjeuner.

Après Mesquer, c’est Saint-Molf, puis de nouveau quelques marais salants.

Et des signes de l’imminence de la Bretagne toute proche.

Pendant un temps, je m’éloigne un peu de la côte et retrouve des paysages plus typiques de l’intérieur des terres, essentiellement des bocages, des champs, des petites forêts.

Et enfin, je quitte la Loire-Atlantique pour le Morbihan.

À Pénestin, je retrouve la côte. C’est bien plus paisible que du côté de Mesquer qui me semble un endroit plus touristique.

Je suis bientôt à la fin de ma journée ; je longe la côte, remontant l’estuaire de la Vilaine.
Au port de Trehiguer, me posant pour une photo, j’entends une jeune fille appeler son chien. Elle a appelé son chien Arthur. Est-ce que j’appellerais mon gosse Médor ?

Derniers kilomètres et j’arrive au barrage d’Arzal. Pour ceux qui connaissent le barrage de l’Escaut oriental, aux Pays-Bas, le barrage d’Arzal c’est la même chose, mais en maquette.


Plus que quelques centaines de mètres et je débarque chez Georges. Excellent accueil ; on papote un peu, puis j’attaque le rituel du soir, douche, lessive, tout ça. Une pizza du petit restaurant du bout de la rue.
Plus tard, je papote avec Georges et sa compagne Annick. Très gentils et souriants. Moins blindés de thunes qu’à La Baule. Plus sympas aussi.
En fin de soirée, juste avant que j’aille au lit, un inconnu vient à la fenêtre de ma chambre regarder ce que je fais. Il toque à la fenêtre pour que je laisse rentrer.

Bilan de la journée :
- 89,97km parcourus (cumulé 711,79km)
- 5h25 de pédalage (cumulé 42h01)
- 587m de D+ (cumulé 3486m)
Oh, let the sun beat down upon my face
And stars fill my dream
I’m a traveler of both time and space
To be where I have been
To sit with elders of the gentle race
This world has seldom seen
They talk of days for which they sit and wait
All will be revealed
Hello Manu,
Je reprends le cours de ton histoire et suis ravi de découvrir ces lieux que je ne connais pas ou pas bien.
Ton approche n’est pas seulement géographique et j’admire ta culture et ton humour.
Je te propose de voyager encore plus souvent pour nous distraire et nous cultiver…
Bon vent, si possible dans le dos pour accompager ta belle forme physique.
J’aimeJ’aime
Mes sources m’indiquaient que tu serais sans doute à Lorient mercredi soir !!!
Mais tu ne dois plus en être loin !
Bon vent !
On espère avoir une chronique sur le retour en train ! Des mésaventures drôles mais pas de problèmes !
J’aimeJ’aime
Eh bien, voilà un récit qui ne manque pas de sel…
Bon courage pour la fin du parcours qui semble pour bientôt.
J’aimeJ’aime
Toujours aussi bien écrit. Et cette métaphore filée (c’est bien ça Renée ??) des musiciens : sympa !
Ça sent l’écurie, enfin la fin du concert !
J’aimeJ’aime
Merci Manu pour ces belles photos et tous ces commentaires remplis d’humour et de sagesse. Bravo pour ta culture sur les peintres. Ça m’a éclaté.
Continue ta route avec toujours autant de courage et de belles images (dans tous les sens du terme).
On attend la suite.
Ps : on est au chalet et on n’a pas de réseau. C’est la raison de nos rares commentaires
Bisous
J’aimeJ’aime
Bon …on a bien compris que les raboteurs de parquet ce n’était pas ta tasse de thé….mais ça bossait dur et c’est bien reflété dans le tableau
Toujours autant d’humour Manu et que de connaissances.
Si tu peux prolonge ton périple ! Pas pressé que ça se termine. Courage et bisous.
J’aimeJ’aime